Le tailleur et la fée-fontaine

LE TAILLEUR ET LA FEE FONTAINE ...
Le tailleur et la fée-fontaine

Il était une fois un tailleur très talentueux. 
Son atelier était minuscule, mais les clients venaient de loin
pour acheter chez lui leurs habits.


Il n'avait pas son pareil pour dessiner des modèles qui mettaient en valeur leur silhouette, choisir les étoffes et les couleurs pour relever leur teint.

Sa renommée était telle qu'un jour le roi le fit venir à la cour. Il quitta son petit atelier pour se rendre au palais, où il fut logé dans un appartement dix fois plus grand.

Les commandes affluèrent bientôt. Toute la noblesse voulait être vêtue d’élégance et de beauté. Le tailleur ne savait plus où donner de la tête ni des aiguilles.

Il travaillait jusque tard dans la nuit, mais au matin de nouvelles requêtes lui étaient apportées par les valets de chambre des grands du royaume.
Il en arrivait à se tromper dans ses patrons, mélangeait les couleurs, et devait recommencer à l’aube un ouvrage qu’il avait cousu de travers le soir.

Un matin, après un essayage douloureux chez le roi au cours duquel il avait piqué Sa Majesté à trois reprises avec des épingles, il pénétra dans une petite cour ombragée à l’écart de l’agitation du palais. Une fontaine de marbre en ornait le centre. Des jets d’eau jaillissaient des quatre côtés d’un socle surmonté d’une statue de femme. Le tailleur remarqua la grâce de sa tunique au drapé délicat. Épuisé, il s’assit sur la margelle et aspergea son visage d’eau fraîche.

  • De quoi as-tu besoin ? demanda doucement la statue.
  • De dormir, répondit-il sans remarquer l’insolite de la situation.
  • Alors va te coucher, murmura la fée-fontaine.

Il rentra chez lui à la façon d’un automate et plongea dans un profond sommeil jusqu’au lendemain. Au matin, il se réveilla frais et dispos pour la première fois depuis des semaines. Il regarda les étoffes entassées en désordre, les habits ébauchés, les croquis éparpillés. Il était à la fois lucide et serein. Ce qui le troublait était le souvenir doux et diffus d’une femme en tunique.

Il retourna dans la cour ombragée. La fontaine était bien là, et la statue immobile sur son socle de marbre. Il en fut désappointé. Pour ne pas laisser le découragement l’envahir, il se pencha au-dessus du bassin et arrosa copieusement son visage d’eau fraîche.

  • De quoi as-tu besoin ?

Le tailleur redressa la tête, le coeur gonflé de joie. La fée-fontaine n’était donc pas un rêve…

  • De terminer l’habit du roi pour la cérémonie du pèlerinage qui a lieu dans six jours, répondit-il.
  • Et pour le finir avant six jours, de quoi as-tu besoin ?
  • De pouvoir m’y adonner pendant cinq jours sans être dérangé continuellement par les demandes des gens de la cour, soupira le tailleur.
  • Et pour pouvoir être tranquille pendant cinq jours, de quoi as-tu besoin ? interrogea encore la fée-fontaine.

La vision d’un atelier minuscule dans lequel il avait toujours connu la quiétude s’imposa au tailleur. Soulagé, il remercia la fée-fontaine et rentra faire son bagage. Il n’emporta que les fils et les étoffes nécessaires à l’habit du roi et se retira dans son village.

Lorsqu’il revint cinq jours plus tard avec l’habit enfin terminé, le roi en fut si enchanté qu’il décida de l’emmener avec lui en voyage.

La veille du départ, le tailleur, inquiet, rendit visite à la fée-fontaine.

  • De quoi as-tu besoin ? lui demanda-t-elle comme d’habitude.
  • De savoir quoi faire quand tu ne seras plus là pour me guider, répondit le tailleur…
  • Et pour le savoir, de quoi as-tu besoin ?

Le tailleur réfléchit un long moment. Il fouilla sa mémoire à la recherche des conseils que la fée lui avait donnés. Il n’en trouva aucun. Alors, il leva les yeux vers elle et son visage s’éclaira d’un sourire lumineux.

LIVRE DUNOD

 

Le vieil homme et le cheval…

On n’avait jamais vu de tel cheval,
tant par sa splendeur, sa majesté que par sa force.
Les gens offraient des fortunes pour cette monture,
mais le vieil homme refusa toujours de le vendre :

« Ce cheval n’est pas un cheval, disait-il. Il compte pour moi comme une personne. Comment pourrait-on vendre une personne ? Il compte pour moi comme un ami, pas comme un animal que je possède. Comment pourrait-on vendre un ami ? »

L’homme était pauvre et la tentation était grande, mais jamais il ne vendit le cheval.

Un matin, il constata que le cheval
n’était plus dans son écurie.
Tout le village vint le voir :

« Vieux fou, se moquèrent-ils, Nous t’avions
dit qu’un jour quelqu’un volerait ton cheval.
Nous t’avions prévenu que tu serais volé.
Toi, si pauvre, comment as-tu pu garder
sous ta protection un animal si précieux ?

Tu aurais mieux fait de le vendre.
Tu aurais pu en tirer le prix que tu voulais.
Aucune somme n’aurait été trop importante.
Maintenant le cheval est parti,
et c’est une mauvaise chose qui t’arrive. »

Le vieil homme répondit :

« Ne parlez pas trop vite. Dites seulement que le cheval n’est pas dans l’écurie.
C’est tout ce qu’on sait, le reste n’est que jugements.
Est-ce une mauvaise chose pour moi, ou non ?
Comment pouvez-vous savoir ? Comment pouvez-vous juger ? »

Les gens protestèrent :

« Ne nous prends pas pour des imbéciles !
Nous ne sommes peut être pas philosophes,
mais il n’y a pas matière à philosopher ici.
Le simple fait que ton cheval ne soit plus
là constitue une mauvaise chose. »

Le vieil homme parla de nouveau :

« Tout ce que je sais, c’est que l’écurie est
vide et que mon cheval est parti.
Je ne sais rien de plus.
Qu’il s’agisse d’une mauvaise chose ou
d’une bonne chose,
je ne peux pas le dire. Nous ne voyons
qu’un fragment des choses.
Qui peut dire ce qui va arriver ensuite ? »

Les gens du village rirent et pensèrent
que le vieil homme était fou.
Ils avaient toujours pensé qu’il était imbécile, car,
s’il ne l’était pas, il aurait vendu le cheval et vivrait des revenus de cette vente.

Au lieu de cela, sa vie était celle d’un pauvre bûcheron, le vieil homme était encore obligé de couper du bois de chauffe, de le traîner à travers la forêt et le vendre. Il vivait au jour le jour, dans
la misère et la pauvreté. Il avait désormais prouvé
qu’il était vraiment fou.

Quinze jours plus tard, le cheval revint.
Il n’avait pas été volé,
il s’était seulement enfui dans la forêt.
Non seulement il était revenu, mais il ramenait
une douzaine de chevaux sauvages avec lui.

Une fois encore, les gens s’assemblèrent
autour du bûcheron et lui dirent :
« Vieil homme, tu avais raison et nous avions tort.
Ce que nous pensions être une mauvaise chose
s’est révélé être une bonne chose.
S’il te plaît, Pardonne-nous. »

L’homme répondit :
« Encore une fois, vous allez trop loin.
Dites seulement que le cheval est revenu
et qu’une douzaine de chevaux l’accompagnaient,
mais ne jugez pas. Comment pouvez-vous savoir
s’il s’agit
d’une bonne chose ou non ?

Vous ne voyez qu’un fragment des choses.
A moins que vous sachiez toute l’histoire,
comment pouvez-vous juger ?
Vous ne lisez qu’une page d’un livre.
Comment
pouvez-vous juger le livre en entier ?
Vous ne lisez qu’un mot d’une phrase.

Comment
pouvez-vous comprendre
la phrase entière ? La vie est si vaste,
et pourtant vous jugez tout de la vie sur
une page ou un mot.
Tout ce que vous avez vu n’est
qu’un fragment des choses !

Ne dites donc pas qu’il s’agit d’une bonne chose.
Personne ne le sait. Je me contente
de ce que je sais
et je ne me tracasse
pas de ce que je ne sais pas. »

« Peut-être le vieil homme a-t’il raison,
se dirent-ils entre eux. »
Ils n’en dirent pas beaucoup plus.
Cependant, au fond d’eux-mêmes,
ils étaient persuadés qu’il avait tort.
Ils savaient qu’il s’agissait d’une bonne chose.

Une douzaine de chevaux sauvages étaient arrivés
avec le cheval blanc. Avec un peu de travail,
ces animaux pourraient être domestiqués,
entraînés et vendus pour beaucoup d’argent.

Le vieil homme avait un fils, un fils unique.
Le jeune homme commença à domestiquer les chevaux sauvages. Quelques jours
plus tard, il tomba d’un des chevaux et se cassa les deux jambes.

Une fois encore, les villageois s’assemblèrent
autour du vieil homme et émirent leurs jugements.
« Tu avais raison, dirent-ils, tu nous as prouvé
que tu avais raison. La venue des douze chevaux n’était
pas une bonne chose. C’en était une mauvaise.
Ton fils unique s’est cassé les jambes,
et maintenant, à ta vieillesse,

tu n’auras personne pour t’aider.
Tu es maintenant
plus pauvre que jamais. »

Le vieil homme parla encore :

« Vous êtes vraiment obsédés par le jugement.
N’allez pas si loin. Dites seulement que
mon fils s’est cassé les jambes.
Qui sait s’il s’agit d’une bonne chose ou
d’une mauvaise chose ? Personne ne le sait.
Nous ne connaissons que des fragments des choses.
La vie vient de cette façon, par fragments. »

Il arriva alors que, quelques semaines plus tard,
le pays s’engagea dans une guerre contre
un pays voisin. Tous les jeunes hommes du village
furent réquisitionnés, sauf le fils du vieil homme,
parce qu’il était blessé. Une fois encore
les gens se rassemblèrent
autour du vieil homme, pleurant et se lamentant
parce que leurs fils étaient partis à la guerre
et avaient peu de chances d’en revenir.

L’ennemi était fort et la guerre
serait une sévère défaite.
Ils ne reverraient jamais leurs fils.
« Tu avais raison, vieil homme, gémirent-ils.
Dieu sait que tu as raison. Tout cela le prouve.
L’accident de ton fils était une bonne chose.
Ses jambes sont peut être cassées, mais,
au moins, il est avec toi.
Nos fils, eux, sont partis pour toujours. »

Le vieil homme répondit une fois de plus :
« C’est vraiment impossible de discuter avec vous.
Vous n’arrêtez pas de tirer des conclusions.
Alors que personne ne sait rien. Dites seulement :
nos fils sont partis à la guerre, et le tien non.
Personne ne sait si c’est une bonne chose
ou une mauvaise chose. Personne
n’est assez sage pour le savoir.
Dieu seul le sait. »

Et vous, dîtes-moi,
qu’en pensez-vous ?

Yola M. ❤